LES WITCH DOCTORS: Libres (2014)
Musicians :
Olivier Gebenholz : Batterie, chœurs
Emmanuel Desnos : Guitare, chœurs
Jean-Christophe Pagnucco : Basse, Dobro, guitare folk, chant, chœurs
Titles:
01. A Chaque Seconde (3:34)
02. J'ai Ce Qu'il Me Faut (3:20)
03. Nuit D'orage (5:41)
04. Mes Prisons (3:26)
05. Je Te Le Dois (2:51)
06. Mourir Debout (4:44)
07. J'vais Où Le Vent Me Porte (4:24)
08. Libre (2:29)
09. Détours (3:51)
10. Le Salut De Son Ame (4:07)
11. Brise Tes Chaînes (2:30)
12. Jour De Peine (2:25)
D'emblée, ce qui frappe à la première écoute de ce CD, déjà le troisième du groupe dont les deux précédents opus ont été remarqués et honorés, c'est la voix. Voilà un « vrai » chanteur, à la voix au timbre aussitôt reconnaissable, souple, riche, expressive, et surtout bien gérée car Jean-Christophe Pagnucco a l'intelligence de ne jamais la forcer ni de la mettre en danger. Ça ne beugle pas, ça ne crie pas, ça n'éructe pas, monsieur, ça chante ! Et ça déménage quand même, croyez moi ! Cette voix sert admirablement les intentions du songwriter qu'est aussi notre bassiste qui positionne la musique de son groupe à l'exact moment où le blues hésite encore entre le dynamisme binaire du boogie et le balancement chaloupé plus ternaire du rock'n roll. Avouez qu'il y a plus rébarbatif pour nos oreilles sudistes : avec un poil de country en plus, on se retrouverait en plein dans le mille ! D'ailleurs « J'ai Ce Qu'il Me Faut » possède un caractère « rock'n rollesque » qui n'aurait pas déparé sur un des deux premiers albums de 38 Special. Mais notre trio normand a d'autres envies et sait nous les faire partager avec, il faut le noter, douze titres originaux. Après la voix vient la rythmique basse/batterie, implacable mais plus futée qu'on pourrait le croire malgré la difficulté pour Jean-Christophe d'assurer le chant en parallèle. Elle pose le décor et sert d'écrin à cette boule d'énergie condensée qu'est Emmanuel « Manu » Desnos. Quel guitariste ! Cet adepte du simple bobinage, qu'il soit Fender ou Gibson, s'emploie à dynamiter avec compétence et feeling les grilles que son leader met à sa disposition et emmène le groupe dans un tourbillon qui contribue grandement à l'impact déjà considérable de sa musique. Là encore, ça déménage !
Parlons d'ailleurs plus en détail de cette musique : à partir de bases connues, d'où une impression quand même familière, le trio développe des atmosphères bien particulières qui savent s'affranchir des sempiternels trois accords, et qui recherchent avec constance et une certaine réussite la mélodie qui tue. Quelquefois, l'exploration de nouveaux horizons conduit à un résultat plus expérimental, probablement voulu si on se réfère au texte posé sur les notes (« Libre »). Au passage, Jean-Christophe et ses complices, qui possèdent aussi une solide culture musicale, profitent de quelques opportunités pour envoyer quelques clins d’œil plus ou moins respectueux qu'il serait à mon avis inadéquat de prendre pour de la vile copie ou un manque d'inspiration, mais qui constituent en fait autant d'hommages, par exemple à Robert Johnson et aux Stones (le riff de « Crossroads » et la basse de « Miss You » sur « Mes Prisons »), ou à Wilson Pickett (« In the Midnight Hour » sur « Je Te Le Dois »). A vous de chercher d'autres clés, mais leur savoir-faire aboutit toujours à une création originale.
Sur cette trame et avec une véritable aisance et une réelle pertinence dans l'expression, Jean-Christophe chante l'amour, la gratitude, la liberté et son combat, la dignité, le rêve, mais aussi, outre le désespoir, comme il se doit dans le blues, la trahison, les angoisses, l'absence de racines, le vide ou l'absence de sens de la vie, la solitude, la dévalorisation, autant de thèmes bien amenés dans quelques blues plus originaux que la moyenne, qu'ils soient déchiré (« Nuit D'orage », remarquable) ou tendus (« Mourir Debout », « Détours »). Des textes qui contribuent à révéler la fêlure indispensable à ce blues auquel il renouvelle son attachement sur le formidable blues rural acoustique qui termine l'album, tout en se faisant plaisir en laissant son bottleneck courir sur le manche du Dobro. Quand le morceau se termine, on n'a qu'une envie, c'est de repartir pour une nouvelle écoute au risque de se retrouver avec l'irrésistible « A Chaque Seconde » vissé irrémédiablement dans les neurones. Un bien bel album !
Y. Philippot-Degand